13.10.2025

Le role des partis politiques en afrique dans l’exploration d’un nouveau lien entre democratie et justice sociale

Quel rôle les partis politiques devraient-ils jouer dans la construction d'une Afrique plus juste et plus inclusive ? À mesure que les systèmes démocratiques évoluent à travers le continent, de nouvelles questions émergent quant à la manière dont les partis peuvent dépasser les luttes de pouvoir pour véritablement servir la population.

 

Photo Credit: Assemblee Nationale Du Benin / Benoit Koffi

 

La vague de démocratisation qui a touché la plupart des pays africains francophones à partir des années 1990 a fait des partis politiques les piliers de la compétition électorale. Dans de nombreux pays africains, la démocratie a longtemps été perçue comme un simple environnement de compétition électorale, davantage lié à la compétition pour la conquête du pouvoir d’Etat qu’à un paradigme de véritable transformation sociale fondé sur des  idéologies claires. De nombreux pays africains ont adopté le multipartisme, souvent à la faveur de réformes imposées ou encouragées par la communauté internationale sous menace de coupe budgétaire dans l’aide au développement. Le discours de la Baule prononcé par le feu Président français François Mitterand le 20 Juin 1990 a sonné  comme  un rappel aux pays francophones la meilleure thérapie de gouvernance politique en Afrique. Mais ce pluralisme apparent masque parfois une démocratie fragile, marquée par la personnalisation et  la personnification du pouvoir, le clientélisme, et une faible culture de la reddition de comptes, beaucoup de pays de l’Afrique centrale s’insèrent dans ce registre. Dans ce système, les partis politiques fonctionnent davantage comme des machines électorales que comme des vecteurs d’idées ou des instruments de promotion de la justice sociale

Trois décennies plus tard, c’est sans surprise que l’on constante le divorce criard entre la démocratie formelle (les élections) et la justice sociale effective qui se base sur la distribution équitable des richesses et des opportunités. De son côté, le citoyen, souvent réduit au simple rôle d’électeur, ne perçoit pas toujours un lien direct entre le vote et l’amélioration de ses conditions de vie (cela explique également le taux de participations aux élections, qui baisse considérablement dans beaucoup de pays du monde). Ce décalage alimente la défiance vis-à-vis des systèmes politiques et favorise parfois l’abstention ou même la radicalisation. Face à un désenchantement citoyen croissant, le rôle des partis ne peut plus se limiter à la seule conquête du pouvoir. Ils doivent se muer en de véritables catalyseurs d’un nouveau pacte social, réconciliant le processus démocratique avec ses dividendes socio-économiques seul gage de remise en confiance et de pérennisation de la démocratie partisane. Les partis politiques surtout ceux qui se veulent progressistes sont appelés à jouer un rôle nouveau, non seulement en animant la vie démocratique, mais aussi en explorant et en construisant un lien renouvelé entre démocratie et justice sociale. Cet article se propose de rappeler le mode opératoire des partis politiques en Afrique, de faire l’analyse critique du fonctionnement des partis à la lumière des valeurs de la justice sociale et de formuler des recommandations pour une meilleure gouvernance des partis politiques en Afrique. 

 

I - Les Partis Politiques : Des géants au pied d’argile en Afrique ? 

Le rôle théorique du parti est clair : être l'interface entre l'État et la société, structurer le débat et agréger les intérêts populaires. En Afrique, cette fonction est souvent pervertie, transformant les partis en obstacles à la justice sociale. Cette fragilité se manifeste, entre autre par la primauté du clientélisme sur l'idéologie et le manque d'éducation politique et de contenu social.

  • La Primauté du Clientélisme sur l'Idéologie

Dans de nombreux contextes africains, les partis politiques demeurent des machines électorales personnalisées, centrées autour d'un leader charismatique ou d'une élite, et non des structures idéologiques portant un projet social clair. Le critère de sélection des cadres et des candidats est trop souvent la capacité mobilisatrice ou l'appartenance à un réseau d'intérêts primaires, reléguant la compétence et le contenu  programmatique et la vision stratégie au second plan. C’est à juste titre  que Achille Mbembe dans son ouvrage ‘’ De la postcolonie: Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine’’[ Edition Khartala, chapitre 1 p21 à  23] a largement mis l’accent sur le fait que  le politique est souvent réduit à une logique de commandement et de prédation questionnant ainsi la pertinence des partis politiques dans l’animation de la vie politique des pays africains. Selon Mbembe, ces partis, loin d'animer une vie démocratique substantielle ou de représenter des visions alternatives, sont souvent intégrés à cette même logique de commandement et de clientélisme, contribuant à la reproduction du système qu'il nomme la « postcolonie ».

  • Le Manque d'Éducation Politique et de Contenu Social

La faiblesse organisationnelle et les difficultés financières de la plupart des partis les empêchent d'assurer leur fonction d'éducation civique. Les débats se concentrent sur la critique des personnes ou la répartition des postes, laissant peu de place aux problématiques de fond : comment financer l'école ou la santé universelles ? Comment créer des emplois décents et durables pour la jeunesse ? Cet échec programmatique contribue au désintérêt croissant des citoyens et, plus grave, à l'érosion de la légitimité du système multipartite lui-même. Les rapports de l'IDEA (Institut International pour la Démocratie et l'Assistance Électorale) sur l'Afrique de l'Ouest confirment cette tendance, soulignant que "l'efficacité et la capacité des partis restent faibles", malgré leur prolifération, ce qui entrave leur rôle dans l'agrégation et l'articulation des intérêts sociaux [ 2017, International IDEA (avec contributions de divers auteurs) ‘’ Partis politiques en Afrique de l'Ouest : Le défi de la démocratisation dans les États fragiles’’ Chapitre 3 P 50-55].

 

II- La justice sociale : un enjeu de transformation pour les partis politiques

La justice sociale est l'impératif éthique et politique qui devrait fonder la légitimité des partis politiques dans l'Afrique contemporaine, car elle offre une alternative concrète à la logique de prédation précédemment décriée par Achille Mbembe. Tandis que la prolifération des partis est avérée, comme le confirment les rapports de l'IDEA soulignant leur faible efficacité dans l'agrégation et l'articulation des intérêts sociaux, cette faiblesse découle souvent de leur inscription dans des réseaux de clientélisme et de capture de rente. La transformation des partis passe donc par une refondation de leur mission : ils doivent évoluer de simples machines électorales ou syndicats d'intérêts élitaires vers de véritables mouvements citoyens structurés autour de programmes de réduction des inégalités (accès à l'éducation, à la santé, à l'emploi décent) et de redistribution équitable des richesses. En adoptant la justice sociale comme boussole idéologique et opérationnelle, les partis peuvent non seulement se (re)connecter aux préoccupations basiques des populations, mais aussi acquérir la capacité d'organiser des majorités sur des bases programmatiques solides, restaurant ainsi leur rôle crucial d'intermédiaires entre l'État et la société, et validant enfin leur pertinence démocratique.

Face à cette désillusion démocratique, la justice sociale apparaît comme un bel horizon mobilisateur. Elle renvoie à des notions d’équité, d’inclusion, de redistribution de richesse, mais aussi de reconnaissance des droits culturels, sociaux et économiques. De plus en plus de citoyens, notamment les jeunes et les femmes, revendiquent un modèle politique qui dépasse la simple tenue d’élections.

Certains partis africains commencent à se positionner sur ces questions. On observe, par exemple, l’émergence de partis ancrés dans les luttes sociales, les mouvements écologistes ou les revendications féministes, surtout dans les pays occidentaux et américains. Ils proposent des programmes centrés sur l’accès à la santé, à l’éducation, à l’emploi ou à la justice territoriale. En mettant ces enjeux au cœur de leur discours et de leurs actions, ces partis cherchent à se légitimer autrement que par l’ethnicisation ou la personnalisation du pouvoir.

 

III - Vers une refondation des partis comme moteurs d’un contrat social démocratique

Dépassant la simple logique de la survie électorale et l'enfermement dans la prédation néo-patrimoniale, la survie et la légitimité des partis politiques africains passent impérativement par leur refondation autour de leur mission originelle : être les moteurs d’un nouveau contrat social démocratique. Cela exige qu'ils s'émancipent du rôle de structures clientélistes pour se transformer en des organisations véritablement programmatiques et inclusives. En lieu et place de la gestion actuelle souvent non transparente des ressources, les partis refondés devraient s'engager publiquement sur des objectifs de justice sociale et de reddition des comptes (accountability). Ils doivent devenir les incubateurs de débats citoyens, les agrégateurs d'intérêts divergents, et les garants d'une gouvernance éthique, agissant comme le véritable levier d'une démocratie substantielle où le pouvoir est exercé dans l'intérêt général. Ce faisant, les partis peuvent non seulement regagner la confiance des populations, mais aussi prouver leur efficacité et leur capacité à articuler des projets de société viables, assurant ainsi la pérennité du système pluraliste lui-même.

Pour ce faire il faudrait qu’ils comprennent l’enjeu et acceptent  de se transformer eux même. Cela passe d’abord par une réforme de leur fonctionnement interne : plus de débats d’idées, de démocratie participative, de transparence dans la désignation des candidats, d’inclusion des femmes et des jeunes dans les instances dirigeantes. Un parti qui ne respecte pas ces principes en son sein aura du mal à les défendre à l’échelle nationale et au-delà.

Au Bénin mon pays, c’est le cas avec le parti Les Démocrates, c’est le principal parti d’opposition. Au sein de notre parti politique, des efforts considérables ont faits afin d’apporter plus de lueurs aussi bien aux jeunes qu’aux femmes.

Ensuite, les partis doivent tisser des alliances solides avec les autres forces sociales : syndicats, mouvements citoyens, associations de jeunes ou de femmes. Ces synergies permettent de construire des programmes plus ancrés dans les réalités du terrain et d’innover dans la manière de gouverner : budgets participatifs, consultations populaires, lois sur la parité ou la justice foncière, etc.

Enfin, les partis doivent investir dans l’éducation civique et la formation politique. Une population informée est plus à même de revendiquer ses droits et de s’impliquer dans la vie démocratique. La justice sociale ne se décrète pas : elle se construit collectivement, par des institutions fortes, mais aussi par une citoyenneté active.

 

Conclusion : Des partis entre inertie et potentiel de transformation

En définitive, l'analyse du paysage politique africain révèle une tension fondamentale : celle des partis politiques pris entre une inertie structurelle et un impératif de transformation radicale pour répondre aux exigences des temps nouveaux. D'une part, la critique d'Achille Mbembe sur la réduction du politique à une logique de commandement et de prédation dénonce des formations figées dans le néo-patrimonialisme. Cette inertie est confirmée par l'International IDEA, qui pointe la faiblesse de la capacité et de l'efficacité des partis à agréger les intérêts sociaux, les cantonnant trop souvent à de simples instruments de pouvoir élitaire et de gestion de rente. D'autre part, cette crise de légitimité dévoile un immense potentiel de transformation. La seule voie pour échapper à ce cycle d'inefficacité est que les partis rompent avec la prédation pour se refonder sur l'exigence de la justice sociale. En se muant en organisations réellement programmatiques, éthiques et ouvertes aux débats citoyens, ils pourraient enfin devenir les moteurs d’un nouveau contrat social démocratique assumé. L'avenir du pluralisme en Afrique dépend donc de leur capacité à franchir ce seuil : soit ils s'ancrent dans la réforme pour répondre aux aspirations profondes de leurs sociétés, soit ils persistent dans l'inertie, risquant alors l'obsolescence et la délégitimation face à la demande croissante de gouvernance véritablement démocratique. Les partis politiques africains ont donc un rôle crucial à jouer dans l’exploration d’un nouveau lien entre démocratie et justice sociale. Ce rôle reste cependant sous-exploité, en raison de logiques de pouvoir encore largement dominantes. Pourtant, les signes de renouveau existent : partis émergents, mobilisations citoyennes, innovations locales.

C’est en se réinventant – à la fois dans leur fonctionnement interne et dans leur rapport à la société – que les partis pourront devenir les vecteurs d’un projet démocratique authentiquement africain, capable de répondre aux aspirations profondes des populations. En cela, ils ne sont pas simplement des acteurs politiques : ils peuvent être les architectes d’un nouveau contrat social fondé sur la dignité, l’équité et la justice.

 

Dr. Guy Dossou MITOKPE, Secrétaire à la Communication du Parti Les Démocrates (Bénin) le Député 7ème Législature en République du bénin 

 

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